mardi 29 juillet 2014

Au petit matin dans le ventre de Rungis ...


"On se retrouve devant chez toi à 3 h 30 OK ?"
Il m'a dit ça en se marrant à moitié.
J'ai pensé à une blague.
Il me connaissait sans doute bien.
Car il a ajouté : "Et c'est pas une blague !".
Il faisait donc nuit noire lorsque mon réveil a sonné.
Nuit noire lorsque j'ai sauté dans mes fringues, préparées avec soin la veille pour réduire au minimum les efforts au petit matin.
Nuit noire lorsque je suis sortie sans bruit de la maison.
Nuit noire lorsque je me suis assise sur le petit muret du parking.
Nuit noire lorsque des phares sont arrivés et m'ont éblouie.
"On y va, allez monte !".
Ils riaient, les yeux encore bouffis de sommeil, mais plissés malgré tout par leur bonne humeur contagieuse.
Deux hommes dans la voiture.
Un troisième à scooter.
J'étais la seule femme.
Et ça me convenait.
Les hommes me semblent tellement moins compliqués.
Avec eux, je me sens plus en sécurité, pas jaugée, pas jugée.
Et du coup, décontractée.
"C'est parti".
"Vous me suivez", a énoncé l'homme au casque.
La radio diffusait une douce mélopée comme on dit ...
Ils parlaient, parlaient, tranquillement, joyeusement.
Voix feutrées, graves mais douces.
Joues mal rasées, voire barbues pour l'un d'entre eux.
Longs cils, yeux clairs, celui qui conduisait était aussi à l'aise que concentré.
On avait pris la route.
C'était l'aube.
On était à l'aube de cette belle journée.
Il ne restait plus qu'à arriver.
L'autoroute, déjà envahie de voitures malgré l'heure indécente, nous avait accueillis puis recrachés au bout d'une heure environ.
Un péage.
Une carte bancaire dégainée.
On était sur le point d'entrer.
Le parking était immense, comme celui d'un aéroport.
Une ville.
On était entrés dans une ville en fait.
Rungis ...
L'homme au scooter avait sorti un plan.
Il expliquait : "Là, le froid. La viande, les abattoirs. Je sais pas si on aura le temps. Les fromagers plus loin. Il faut qu'on y passe pour T. Les fruits et légumes, c'est tous ces entrepôts là. Et le traiteur italien. Il faut absolument y aller. On a besoin de jambon les gars !".
On a donc poussé la double porte du hangar E5.
Il était à peine plus de 4 h.
Et là, le choc.
Une fourmilière.
Partout, des hommes en blouses.
Des dizaines d'hommes affairés.
Préparant les commandes des restaurants.
Des commerçants.
S'agitant.
S'aboyant dessus.
Se marrant.
Se racontant des histoires de cul.
S'exprimant de tout leur être.
Des mains épaisses.
Des bras solides.
Des sourires fatigués.
Mais des sourires quand même.
L'ambiance de Rungis au petit matin, c'était tellement particulier.
J'ai évidemment adoré !
Contrairement aux hommes qui m'accompagnaient, je n'avais rien à acheter.
J'étais pourtant venue, à leur invitation.
Pour voir.
Pour savoir.
Je rêvais de pénétrer dans cet univers.
Et je n'ai pas été déçue.
Rungis est une ville.
Le ventre de la terre.
Le royaume de la bouffe.
Mais de la bonne bouffe.
Des jambons qui pendent par centaines.
Charcuteries italiennes ou espagnoles.
Pata negra.
Chorizos.
Tonnes de pâtes et raviolis, tous plus appétissants les unes que les autres.
Crochets de boucher.
Pleins ou vides, selon.
Matériel professionnel.
Chaussures, couteaux, tabliers.
Un véritable voyage, dans cet espace hors du temps.
D'un hangar à l'autre, arpenter les lieux.
N'en voir qu'un tout petit morceau tant tout est faramineux.
Rater les abattoirs.
Le regretter.
Mais pas tant que ça.
Imaginer les photos à y faire.
Mais aussi penser à la nausée.
Se régaler les yeux de fruits et légumes par milliers.
Humer.
Les fromages aussi.
Avoir envie de tout goûter, de tout toucher.
Mais bien évidemment s'en empêcher.
Prendre quelques clichés.
Trop peu.
Sortir d'un hangar, pour dans un autre entrer.
Et au fur et à mesure, voir entre nos allées et venues le soleil se lever.
Sur cette ville.
Sur cet univers si particulier.
Et ne plus rêver que d'une chose : un jour, peut être, avoir la chance d'y retourner ...

6 commentaires:

  1. J'ai adoré ton récit !!!! Je ne suis jamais allée à Rungis mais ta description m'a passionné ! Merci ! <3
    Laetitia (Misslaetini)

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  2. Et tu n as vraiment rien rapporté ?

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    1. Hé bien ... En fait j'ai craqué en voyant les raviolis italiens !

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  3. hé hé hé voici un lieu de pèlerinage où je rêve d'aller...

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    1. Si seulement j'avais le sésame je t'emmènerais très volontiers Le Chat !
      Mais c'était un one shot qui ne se reproduira pas pour moi je crois ...

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