jeudi 10 juillet 2014

Et lutter parfois contre l'absence de re-père(s) ...


Si aujourd'hui je ne me pose plus la question, je me suis souvent demandé ce que ça ferait ...
Oui qu'est ce que ça me ferait de revoir mon père ?
Comment je réagirais si, tout à coup, et après 10 années de silence, il revenait vers moi ?
Faudrait-il pardonner, tenter de refaire confiance, tendre l'autre main, l'autre joue ?
Faudrait-il fermer la porte à double tours, verrouiller coeur et volets, faire barrage contre une tentative sans doute mal intentionnée comme il y en a eu hélas par le passé ?
Je ne sais pas.
Je crois que je ne suis pas vraiment de ces gens qui t'affirment "moi j'aurais fait ça", "moi j'aurais dit ça" ...
Comment savoir ?
Comment être certaine ?
Je ne le suis pas.
Je ne le serai peut être jamais.
Il y aura toujours en moi une petite flamme d'espoir je crois, comme il y a une petite pointe d'envie parfois lorsque je vois autour de moi des pères et des filles partager affection et compréhension.
Mais parallèlement, il y a cette certitude que la pire chose que la vie puisse t'apporter est un parent toxique, un parent qui n'est plus en capacité de t'aimer.
Lorsque mon père a commencé à partir en vrille, j'ai tout tenté pour l'aider.
J'avais alors 25 ans ou un peu moins.
Je me remettais enfin de la mort de ma mère lorsqu'il a commencé à fréquenter cette femme, une femme qui allait détruire petit à petit toute sa vie.
Mais je ne l'ai pas tout de suite compris.
Elle a commencé un long et insidieux travail de sape.
Elle s'est appuyée sur tout ce qu'elle avait pu glaner comme informations au moment où elle était la "thérapeute" de la précédente petite amie de mon père.
Et puis ça ne lui a plus suffi.
Alors elle est passée à la vitesse supérieure.
Elle a prétendu avoir des contacts avec les gens de l'au-delà.
Elle a prétendu avoir des contacts avec ma mère, morte quelques années plus tôt.
Elle a prétendu avoir des messages importants à transmettre à mon père.
Des messages concernant sa fille.
Qui prenait trop de place.
Qui devait s'éloigner.
Ou qu'on devait éloigner si besoin.
Elle est revenue à la charge plusieurs fois, avec un grand sourire hypocrite, en annonçant tout ça comme la chose la plus naturelle du monde et en insistant sur le fait que ces messages ne provenaient pas du tout d'elle ...
Et, par une sorte de magie noire atroce que je ne comprends toujours pas après tout ce temps, il l'a crue.
Il a tout gobé.
Et il a commencé à se laisser guider.
Il a commencé à m'éloigner.
A nous éloigner tous.
Sa famille, ses amis.
Il a commencé à mentir.
Il a commencé à tricher.
Il a mis sa maison en vente.
Je l'ai découvert par hasard quand, un soir, la mère d'une de mes amies m'a annoncé qu'elle songeait à l'acheter ...
Il a tenté de nous soutirer les trois sous de l'héritage de ma mère.
Et il a surtout passé de plus en plus de temps en Inde, dans la secte dans laquelle il avait rencontré sa "dulcinée".
Sathia Saï Baba.
C'était le nom de son gourou.
Lorsqu'il a commencé à fréquenter plus assidûment ce temple en Inde, je me suis inquiétée.
Je me suis renseignée.
Et j'ai découvert.
La secte.
Les infos sur le trafic d'organes.
Celles sur les dénonciations pour pédophilie.
Les rumeurs ou les réalités, comment savoir ?
Les horreurs en tous cas.
Et surtout, surtout, le processus.
Cette façon d'éloigner les gens de leur entourage, de les convaincre que personne ne les comprend, que personne ne les comprendra jamais, à part les autres adeptes, leurs frères et soeurs de prière ...
J'ai perçu les changements, le mécanisme inébranlable, la machine de guerre lancée contre lui et contre nous à vive allure.
J'ai frappé à toutes les portes.
Sa famille, ses amis, ses amies.
J'ai passé une année entière à me rendre à L'observatoire national de lutte contre les sectes.
Pour tenter de comprendre.
Pour tenter de l'aider.
Pour tenter de le sortir de là.
Et puis un jour la femme qui me recevait là bas s'est assise en face de moi et m'a dit ces quelques mots : "Babeth, il faut que vous arrêtiez maintenant".
J'ai cru mal comprendre, je l'ai fait répéter.
"Oui, il faut arrêter maintenant de vouloir sauver votre père. Vous avez déjà tout tenter pour sauver votre mère, durant toutes ces années. Vous tentez la même chose avec votre père, depuis des mois. Il faudrait commencer à penser à VOUS. A l'homme qui vous aime et qui voudrait fonder une famille avec vous. A cette famille que vous allez construire, à cet avenir qui vous appartient. Il faut laisser le passé derrière vous et arrêter de lutter pour tous les sauver. Il faut vous sauver vous. Maintenant".
Je suis sortie abasourdie.
Sous le choc.
Alors c'était ça.
Il fallait lâcher.
Le lâcher.
Tout lâcher.
Je suis rentrée et j'ai beaucoup pleuré.
Mais j'ai compris.
Que cette femme avait tellement raison.
Que la vie m'appelait.
Que j'avais le droit, sinon le devoir, de commencer enfin à vivre pour moi.
A 25 ans, il était plus que temps.
Je me suis résignée.
Je me suis relevée.
J'ai enfin pu avancer.
Et pardonner.
Pardonner les mensonges.
Pardonner l'abandon.
Pardonner le fait qu'il nous ait même officiellement reniés, par lettre recommandée (au cas où la lettre se perdrait ?).
Pardonner le fait qu'il refusait tout futur contact avec des enfants qui de moi émaneraient.
Pardonner le fait qu'il me condamnait à un orphelinat total.
Plus de mère.
Plus de père.
Hé bien oui.
Si c'était la réalité, il fallait composer avec cette réalité.
C'est ce que j'ai fait.
Du moins c'est ce que j'ai tenté.
De tout mon coeur, de toute mon âme.
J'ai construit cette famille dont j'avais toujours rêvé.
Mais parfois, parfois, je me demande comme ç'aurait été ...
Comment aurait été ma vie si il n'avait pas tout accepté, tout gobé ?
Je crois que je ne le saurai jamais.
Je crois que je ne veux plus vraiment le savoir.
J'aime.
Je suis aimée.
Le regard de mes enfants me construit, chaque jour qui passe, m'offre des fondations en béton armé.
Je crois que ce n'est pas demain qu'il me fera à nouveau vaciller.
Même si il revenait.


20 commentaires:

  1. Ma Babeth... mais tout ce que tu as du traverser... ca fait beaucoup pour une seule personne ... heureusement que cette femme t a convaincue.
    Je t embrasse bien fort
    (Les commentaires niais c est quand je suis tres emue, desolee)

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    1. Ca fait beaucoup ... mais ça fait pas trop apparemment ;) !
      J'ai eu des anges gardiens, des gens sur mon chemin pour tirer la sonnette d'alarme parfois quand je me perdais à lutter sans fin ... Donc j'ai eu de la chance, en fait.
      Merci pour ton comm, je ne les trouve jamais niais et ils me touchent toujours bcp, sois en certaine !

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  2. Vous êtes bouleversante de courage, de réalité....profitez et savourez ce que vous avez construit, et bravo pour vos mots si juste...

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    1. Merci, merci infiniment Rosalie pour votre commentaire et votre bienveillance ...

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  3. rhoooo... je manque de mots... heureusement qu'il y a toujours une petite lueur au milieu des épreuves ! J'ai juste envie de te serrer très fort dans mes bras là mon Bob <3 bizettes de ton Haudette

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    1. Ca me plairait de pouvoir être quelques minutes dans tes bras, pour mieux rire ensuite ensemble ! Je t'embrasse aussi très fort :)

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  4. "Plus de mère.
    Plus de mère."
    tu l'as vu ce joli lapsus? il n'existe plus regarde! en tout cas pas comme ton père, tu ne peux même plus ecrire ce mot... "Je crois que je ne veux plus vraiment le savoir." en effet, la page est tournée et quoi qu'il arrive même si il revenait ce ne serait sans doute pas ton "père" mais juste un homme... et tu es tellement forte au fond de toi, tu as un homme qui t'aime (qui croise même ta route quand tu ne t'y attends pas pour veiller sur toi... ;) ) et des enfants extras ...EVERYTHING WILL BE ALRIGHT...
    <3

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    1. Hallucinant ...
      Hallucinant !
      Pourtant je me suis relue pour une fois !
      Il est splendide ce lapsus, Colombo aurait aimé non ? ;))
      Je crois que tu as raison, j'ai la force, le bon mec, les mômes en or ... WAHT ELSE BORDEL ???
      je n'avais besoin de rien d'autre mais j'ai même eu en cadeau bonus une jumelle de bargitude, la vie est BELLE !!!!

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  5. ah et puis c'est normal tu sais de continuer à rêver d'avoir un père ma poulette (je fais allusion à la photo par exemple qui en dit long) mais ça n'a pas besoin d'être ton géniteur...ça peut être n'importe quel autre homme dans ta vie, un père de substitution en qlq sorte...

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    1. Pas encore trouvé le père de substitution, mais je ne désespère pas ;)

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  6. Tu es un arbre qui a su grandir sans eau et enfoncer profondément tes racines dans la vie !! Ton texte me touche profondément Je t embrasse Mu

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    1. Merci Mu, c'est un joli paradoxe au fond d'avoir des racines si profondes pour moi ;)
      La vie est belle, elle nous porte et nous transporte ...
      Je t'embrasse

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  7. Mon père, qui vit en Israël, est lui persuadé d'être le nouveau messie et consacre sa vie à la prière. Il a trouvé là je crois le moyen d'expier ses fautes ou de s'auto-persuader que l'abandon de ses deux petites filles (sous l'influence de sa nouvelle femme-gourou - encore une!) était un sacrifice nécessaire.
    Il est fou et -j'imagine- atrocement malheureux.
    J'y pense et puis j'oublie, heureusement...
    je t'embrasse fort ♥

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    1. Il va nous falloir une nouvelle rencontre pour évoquer ça ma belle, puis pour l'oublier aussi vite et parler du présent, et de l'avenir aussi !
      Je penserai à toi désormais quand je manquerai de re-père !
      xxx

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  8. Un peu la même réaction qu'opio, heureusement que cette femme a su te faire prendre du recul ... ca ne doit pas être évident de dire ça à quelqu'un, en particulier à quelqu'un qu'on sent vulnérable.
    Père absent ici aussi, pour des raisons plus classiques, mes valises sont plus légères que les tiennes mais c'est vrai que je me dis souvent que si ma mère mourrait, je serais grosso modo orpheline.

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    1. J'ai eu de la chance, oui, et c'était vital car je ne pouvais pas m'épuiser davantage j'étais déjà tellement fatiguée de tout ça ...
      On peut être orpheline avec un parent vivant, ça paraît fou, ça paraît monstrueux de le dire, mais moi honnêtement je l'assume.
      Si l'homme qui m'a mise au monde est encore vivant, mon père en tous cas est mort il y a maintenant 10 ans ...

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  9. jE ne sais pas si des parents de substitution se trouvent, si c'est possible, mon histoire me dit que non. Je ne sais pas si un blog peut suffire à essuyer les larmes d'enfance , d'ado et d'adulte de telles souffrances. Tu es courageuse.

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    1. Non, je ne crois pas que des parents de substitution puissent vraiment exister. Je pense qu'on peut avoir une place auprès de certaines personnes qui nous aiment, mais jamais comme leur enfant, ça je suis d'accord avec toi Hélène.
      Pour le reste, on fait comme on peut, on avance comme on peut, on tient comme on peut ...
      Parfois debout, parfois courbé, parfois on oublie et parfois on se reprend tout en pleine face ...
      C'est comme ça !
      Je t'embrasse fort Hélène, et j'espère que tu pourras faire la paix avec ton histoire quelle qu'elle soit ...

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  10. Je ne suis pas orpheline mais tes mots me parlent.....oui quand je te lis je suis à coeur ouvert.....parce que je sens bien que toi aussi....merci pour ce partage....<3
    laetitia (misslaetini)

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    1. Je ne cache rien, enfin j'essaie de ne rien cacher ...
      Ni à moi, ni à vous ...
      Et ce partage m'enrichit tellement !
      C'est moi qui devrais vous remercier ...

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