mardi 29 septembre 2015

Message d'outre tombe (part II)



Je ne l'avais donc pas retrouvée ce vendredi là, où j'avais erré deux heures durant entre les tombes.
Et puis il y avait eu la visite de ma tante et mon oncle.
Je misais tout sur eux.
Sur leur mémoire.
Sur leur force aussi.
Nous avons quitté la maison et nous nous somme dirigés vers le cimetière, ensemble, certains de trouver rapidement notre chemin vers celle qui nous unissait au delà de la mort.
Nous sommes entrés et j'ai suivi leurs pas.
Ils se sont dirigés spontanément vers le lieu qui m'avait attirée la semaine précédente.
Ils ont longé les tombes des soldats morts pour la France.
ils sont pris à gauche ensuite.
L'allée s'ouvrait devant eux, et derrière, le mur d'enceinte les enserrait.
Ils ont avancé, d'abord à pas rapides, puis en ralentissant.
J'ai tout de suite compris.
Ils cherchaient.
Donc ils ne trouvaient pas.
Ils sont arrivés au bout de l'allée.
Ont tourné vers moi leurs visages perplexes.
"Mais ..."
"Mais c'était pourtant là ..."
Je n'ai rien répondu.
Je le croyais, comme eux.
Nous avons fait demi tour,  nous sommes revenus sur nos pas pour reprendre cette allée, plus lentement, plus intensément.
Mais toujours rien.
Nous cherchions tous une tombe de marbre rose, avec une stelle sur laquelle seraient gravés ses deux noms, celui de jeune fille et celui d'épouse.
Après avoir refait trois fois cette allée sans succès, je les ai vus réfléchir.
Et passer par les mêmes réflexions que moi la semaine auparavant.
Si ce n'est pas cette allée, alors il faut chercher ailleurs.
Et de parcourir les autres allées.
Et de chercher parmi le tombes.
Une rose.
Marbrée.
Avec ses deux noms.
Nous en étions tous absolument sûrs.
Le cimetière en long, en large et en travers.
Encore.
Et encore.
Les beaux sourires affichés en arrivant commençaient à s'effriter dangereusement.
Parce que soudain, le doute.
Le doute s'infiltrait en nous comme les mauvaises herbes le long des trottoirs.
Le doute qui balaie tout, qui te violente, qui te met à terre.
Parce que si on ne la trouvait pas cette tombe, est ce que ça voulait dire que ...
Pouvait il être trop tard ?
Est ce que j'avais laissé passer un délai irrévocable ?
Est ce que parce que je n'aimais pas les cimetières, j'avais laissé le corps de ma mère être condamné à tomber dans la fosse commune ?
J'avais peur.
Soudain tellement peur.
Sueur froide, coeur qui bat trop fort.
Je sentais la boule monter dans ma gorge.
Une idée.
Il fallait trouver une piste.
J'ai décidé d'appeler un oncle toulousain, peut être avait il des photos ?
De la tombe de ma mère, ou de celle d'à côté ?
Parce que si elle n'était plus là, alors il fallait trouver le vide.
Et le vide, c'est difficile.
J'ai appelé.
Confirmation.
Tombe rose marbrée.
Mais pas de photos.
Pas de "voisins" à dénoncer.
Et puis ces mots : "Tu sais on a eu des nouvelles de ton père. Il a dit qu'il ne voulait pas s'occuper de la tombe de ses parents, que ce n'était pas son problème, qu'il s'en fichait".
Le froid alors plus tenace.
Le coeur alors plus rapide.
Si quelqu'un lui avait demandé pour ma mère, il n'y avait donc rien à espérer.
L'expression "je ne donnerais pas cher de sa peau" aurait pu me faire sourire mais je n'y parvenais plus.
Je me suis mise à pleurer.
C'était trop.
Trop dur de ne pas la retrouver.
Trop dur de me dire que mon père s'en foutait.
Trop dur de réaliser que mon frère aussi s'en foutait.
Trop dur de me retrouver seule encore à gérer tout le merdier.
Enfin non, pas seule.
Il ne faut pas être injuste.
Ma tante, en larmes aussi à mes côtés.
Et mon oncle, bouleversé.
On était tous là, en vrac, le coeur en bandoulière et les yeux bien mouillés.
On a raccroché.
Et choisi un plan de bataille.
On allait tout refaire en passant par l'autre entrée.
On l'a fait.
Trente minutes de marche.
Zéro succès.
On allait regarder le plan à l'entrée et réfléchir encore à l'endroit où elle pourrait être placée.
On l'a fait.
Et refait.
Chou blanc.
Encore.
Je me suis sentie petite, si petite alors.
Et si fatiguée.
je me suis sentie coupable aussi.
Si tout ça était arrivé, c'était ma faute.
C'était moi qui avait laissé faire, moi qui n'avait pas pris les choses en mains assez tôt.
Je m'accusais de tous les maux.
Oubliant au passage que tout le reste de ma famille s'en foutait, et était au moins aussi responsable que moi.
Mon père le premier, parti en emportant (ou en jetant) tous les papiers.
Mais c'était moi que je maudissais.
Mon oncle et ma tante étaient fermés, tendus, déprimés.
Deux heures que nous étions là.
Il fallait rentrer.
Fêter l'anniversaire de mon fils, faire bonne figure quand on allait rentrer.
Je me demandais déjà comment j'allais y arriver.
On a décidé de parcourir une dernière fois la première allée.
Celle que nous avions tous spontanément choisie à notre arrivée.
Si elle avait été déterrée, alors quelqu'un avait été mis à sa place.
on ne démolissait pas une tombe pour rien, ça coûtait trop cher.
Questions pratiques.
Et horreurs banales.
Alors j'ai parcouru le chemin.
Et regardé les dates.
Si on l'avait déterrée, c'était autour de 2010 au plus tôt.
J'ai parcouru l'allée.
Aucune tombe ne correspondait.
Je réfléchissait à voix haute auprès de oncle et ma tante qui me suivaient.
J'ai fini par m'arrêter devant une tombe de 2011, Monsieur Petit, et par dire "C'est celle ci qui s'en rapproche le plus mais ça ne correspond pas, et la tombe d'à côté n'est même pas rose !".
J'ai baissé les yeux machinalement.
Et soudain, à travers la mousse et la poussière, à travers la saleté, j'ai lu "Marie Travaillot".
Elle était là.
Depuis le début.
Emme tentait de m'appeler.
De me faire un signe.
La tombe était noire.
Et sans stelle.
Nous étions passés devant mille fois chacun, mais aucun de nous ne l'avait trouvée !
Mon coeur a explosé, et j'ai pleuré, de soulagement cette fois ...
Trois personnes qui dansent devant une tombe, ça ne devait pas souvent leur arriver à tous ces gens enterrés.
Ils ont sans doute dû rire encore plus quand ils nous ont vus dans la minute aller chercher de l'eau, un chiffon, et râcler, nettoyer, arroser, astiquer cette tombe.
Cette tombe enfin retrouvée.
Dans la joie, dans les rires, nous avons nettoyé et rendu l'endroit immaculé.
Et puis nous avons prié.
Silencieusement.
Reconnaissants.
Tellement, tellement soulagés.
Et puis je me suis promis.
De revenir plus souvent.
Et même d'y emmener mes enfants.
De ne plus voir dans ce lieu un tombeau de douleur.
Mais un endroit de recueillement.
Une place paisible où penser à ma maman.
Celle qui m'a appris à ne jamais lâcher.
Celle qui m'a donné la force de toujours m'accrocher.
Celle qui m'a montré que croire jusqu'au bout, même quand ça semble foutu, même quand on vit le plus mauvais, croire est définitivement la seule option pour tenir debout dans la dignité.
Celle qui m'a appris, par dessus tout, à rire des situations même les plus moches, mêmes les plus glauques.
Celle qui a fait de moi l'enfant que j'étais, et la femme que je suis aujourd'hui.
Je suis convaincue que quelque part, d'une façon ou d'une autre, elle me voyait.
J'ai espéré qu'elle était fière de moi.
Comme je suis fière, tellement fière d'être la fille de cette femme là.
Une femme morte.
Une femme enterrée.
Mais une femme debout.
Debout dans mon coeur et dans mes pensées.
Cette femme que j'aime, qui me manque, et que je ne pourrai jamais oublier.






lundi 28 septembre 2015

Message d'outre tombe (part I)



Ce vendredi là, après avoir chassé les monstres et les fantômes au coeur d'un commissariat un peu vétuste, j'avais besoin de prendre l'air.
Le cimetière ne te semble peut être pas le meilleur endroit et pourtant ...
Il faisait beau, un ciel d'un bleu limpide et la chaleur du soleil qui réchauffait mon corps, mon coeur, mon âme.
Je devais aller chercher ma mère.
Pourquoi me diras tu ?
Parce que cet été, j'ai réalisé qu'il y avait près de 23 ans qu'elle était morte.
Et cette question, terrible, dans ma tête : combien de temps on garde les morts dans une tombe ?
Je veux dire combien de temps pour une concession au cimetière ?
La question paraît un peu con, posée comme ça.
Mais je n'avais rien.
Aucun papier, aucun droit sur cette tombe.
Ma mère a été enterrée l'année de mes 18 ans, par mon père, qui était encore parmi nous.
La suite, tu la connais (ou pas), il s'est enfui, a tout jeté, tout bradé, tout détruit.
Alors la tombe ...
Et moi j'ai toujours détesté les cimetières.
Je ne crois pas que les gens soient "là" après leur mort.
Je crois que ce sont leurs ossements.
Et que je n'ai pas très envie de venir les écouter se dissoudre dans la terre grasse et humide.
Alors je n'ai pas mis les pieds devant cette tombe, à part une ou deux fois.
C'est pour cela que j'ai flippé.
Que je me suis demandé si elle était toujours là.
Que j'ai eu peur que la concession ne soit arrivée à son terme, et les ossements de ma mère disséminés dans la fosse commune comme on dit.
Tu vois,l'été je pourrais penser à manger des glaces mais non.
Je pense à des trucs distrayants comme la tombe de ma mère.
Punaise, il est vraiment temps que je m'abonne à Voici je crois !
Bref, j'en étais à cette question quand j'ai commencé à me dire qu'il fallait donc que je contacte le cimetière.
Pour leur demander, pour la durée de la concession.
J'ai cherché le numéro dans l'annuaire.
Plus de numéro.
J'ai cherché encore sur internet.
Et j'ai vu qu'il n'y avait plus de personnel sur les lieux du cimetière à Fontainebleau.
Il fallait appeler la mairie.
Service de l'état civil.
Alors j'ai appelé.
"Bonjour, je vous appelle parce que j'ai perdu la tombe de ma mère, pouvez vous m'aider ?".
Ma question était évidemment moins brusque, mais c'est un peu le fonde l'affaire tout de même.
La personne a écouté mon histoire.
Elle semblait très ennuyée.
Elle m'a laissé expliquer, puis elle a prix une grande inspiration et m'a dit "Je suis désolée mais je ne peux pas vous aider".
Ah.
Et pourquoi ?
"En fait, le logiciel qui identifie les tombes et les concessions est en panne depuis plusieurs jours et nous ne parvenons pas à le réparer".
J'ai souri.
Je t'assure.
J'ai souri car je me suis dit que la probabilité pour que ma mère meure, soit enterrée sur ordre de mon père, que celui ci se barre en Inde sauver le monde, et que le logiciel qui sert à la localiser tomber en panne juste à la période où je cherche à la retrouver, franchement, tu avoueras que l'infinitésimale probabilité qu'une telle hérésie se produise avait de quoi me faire sourire.
J'avais perdu ma mère.
Pour la deuxième fois en fait.
Il ne me restait plus qu'une solution : aller sur place et tenter de la retrouver.
C'est ainsi que je me suis rendue, ce vendredi après le commissariat, au cimetière de Fontainebleau.
Je me suis garée, et je suis allée directement dans une allée contre le mur d'enceinte.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'étais persuadée que c'était la bonne allée.
J'avais pris soin de demander à ma tante si elle se souvenait de la couleur de la tombe.
Dans mon esprit, elle était marbrée rose pâle, avec une stelle.
J'ai parcouru l'allée.
Rien de tel.
J'ai parcouru l'allée d'à côté.
Rien non plus.
Alors j'ai commencé à arpenter le cimetière.
Toutes les tombes.
Toutes les allées.
Toutes les roses marbrées.
Toutes les stelles.
Et rien.
J'ai marché une heure, deux heures, dans ce cimetière ensoleillé.
Et rien.
Je me suis assise, et j'ai ri.
Il n'y avait pas de quoi me diras tu.
Mais la situation sur le moment me semblait aussi improbable que comique.
J'avais perdu ma mère.
Et la mairie aussi l'avait perdue.
C'était quand même un beau bordel ce cimetière !
Et puis il y avait le problème de mon fou rire qui montait.
A cause des noms sur les tombes.
Je sais bien que ce n'est pas un endroit pour rire.
Mais quand même.
Quand tu croises la tombe d'un Monsieur LETERME ...
Ou d'une Madame LAFIN.
C'est difficile de ne pas avoir envie de rire, nerveusement.
Bref, j'étais paumée, la mairie ne pouvait pas m'aider, mon père ne pouvait pas m'aider, qui pouvait bien me filer un coup de main ?
J'ai bien vu une personne dans le cimetière.
Mais je n'ai pas osé.
Elle avait des brassées de fleurs, en pots, en vases, en bouquets, et entretenait aux petits oignons une tombe rutilante.
Comment est ce que j'aurais pu aller la voir en lui disant que moi j'avais perdu la tombe de ma propre mère ?!
J'ai pas osé.
Je me suis assise au soleil, sur un muret, pas sur une tombe, et j'ai laissé la chaleur m'engourdir.
Je n'avais pas peur.
Ma tante venait la semaine suivante pour me voir.
On irait.
On irait ensemble, elle se souviendrait forcément de l'endroit.
Elle se souviendrait là où moi j'avais laissé ma mémoire tout effacer, peut être pour me protéger.
Je n'étais pas inquiète.
Juste un peu fatiguée.
Alors je me suis levée, et je suis partie sans me retourner.
Persuadée que tout allait vite et bien s'arranger.

lundi 21 septembre 2015

Division "Haine" ?



C'était vendredi dernier.
Ca aurait pu être un vendredi comme un autre.
Mais non.
Je le savais depuis plusieurs jours, ce vendredi là il me faudrait être centrée.
J'avais passé quelques journées tendues, avant, à anticiper le stress de cette date.
Je suis arrivée au commissariat à 10h pile.
Heure de la convocation.
La vieille affaire de moeurs qui remonte à la surface plus de 30 ans après.
L'enquête autour de tout le voisinage pour débusquer le monstre.
La porte du commissariat ouverte, il a fallu monter dans les étages pour rejoindre celle avec qui j'allais partager la matinée.
Couloirs sombres et sales.
Escaliers souillés.
"Des toilettes ?".
"Non madame ce n'est pas possible de vous laisser aller aux toilettes il n'y a que celles pour les agents et celles pour les prévenus".
Pas de soupape pour mon mal de ventre.
La nausée, il faudrait faire avec aussi.
Entrer dans ce petit bureau, s'assoir sur cette petite chaise, en face de cette petite femme.
Pas vraiment chaleureuse, mais pas froide en tous cas.
Carrée.
Rationnelle.
Des questions.
Qui appellent d'autres questions.
Qui appellent encore d'autres questions.
Faire remonter les souvenirs.
Forcer la porte de sa mémoire.
Bulle après bulle, tenter de laisser éclater la vérité.
Le dépôt.
Toute la merde en fait.
Remuer le fond du bocal pour permettre à l'enquête d'avancer.
Ma place est assurément la plus enviable dans le lot de celles qui ont témoigné déjà.
J'ai été la moins touchée.
Dans tous les sens du terme.
Mais cela m'a pourtant marquée.
Les demandes insidieuses pour me faire entrer dans cette pièce avant de la fermer.
L'insistance à me faire me déshabiller pour prendre des photos de mon corps tellement jeune.
Le sourire et les paroles suaves en me montrant celles prises de sa fille de 17 ans, nue sous son objectif.
Le week end entier où mes parents m'avaient laissées là-bas.
L'impossibilité, encore aujourd'hui, de comprendre comment et pourquoi.
La peur.
Durant ces 48 heures, la peur.
Ce sentiment de ce ne pas être en sécurité.
Trouver sur mon oreiller de petite fille de 10 ans un mot de sa main.
Un mot ou plutôt un courrier.
Qui me disait qu'il m'aimait.
Qu'il me disait qu'il était amoureux, ou amoureux de moi.
Parce que j'étais si jolie.
Et que je lui rappelais tellement celle qu'il avait aimée à 16 ans.
Voir écrit noir sur blanc qu'il voulait savoir si moi aussi je l'aimais.
Voir écrit que je devais répondre.
Qu'il viendrait chercher une réponse à ce courrier.
M'effondrer sur le lit, assise ou plut assommée.
Me revoir les mains moites, le coeur battant la chamade.
Me revoir tenter de trouver quoi répondre.
Quoi répondre à ce type de 40 ans qui m'aimait ???
A part qu'il me faisait peur.
A part que j'étais enfermée chez lui jusqu'au dimanche encore.
Répondre que je ne savais pas.
Que je l'aimais bien.
répondre en espérant que ça lui suffirait.
Et trembler.
Tout le weekend, m'enfermer.
Toilettes, salle de bains, me retenir, ne pas y aller.
Fermer à clé.
Tout fermer à clé.
Ces moments là ne sont rien à côté de ce que les autres ont enduré.
Mais ils m'ont longtemps dérangée.
Il a fallu les faire sortir.
M'en affranchir.
Remuer tous ces souvenirs, faire appel au passé.
Convoquer les démons, les voir danser sous mes yeux fermés.
Presque 3h en immersion totale avec moi-même.
Avec mes souvenirs.
La sensation qu'il fallait en passer par là pour avancer.
Pour moi, mais surtout pour les autres.
La femme écoutait, écoutait, écoutait.
Elle a fini par taper une déposition.
J'ai signé.
Echange de numéros pour les besoins du dossier.
Main serrée.
Ferme mais froide.
Et puis redescendre.
Ou plutôt remonter à la surface.
Retrouver le monde des vivants.
Enfin pour quelques instants seulement ...
Après ?
Après il fallait continuer la journée.
Et l'enchaînement était on peut le dire de toute beauté.
Après, je devais aller chercher la tombe de ma mère.
Après, je devais tenter de la retrouver dans ce cimetière, moi qui n'y mets jamais les pieds.
Après, je devais aller voir s'il n'était pas déjà trop tard pour s'en occuper ...

Crédit photo : Bob