mardi 25 novembre 2014

A 17 ans, vouloir s'enfuir ...



Je me levais le matin pour aller au lycée.
Parfois, la nuit avait été agitée.
Aujourd'hui je sais, pour avoir eu des enfants, que les nuits peuvent être agités de pleurs, de besoins de consolation, d'appels à l'aide ...
Mais à 17 ans, en fait, je le savais déjà.
Quand mon père s'absentait, j'étais toujours "de garde".
J'étais seule avec elle.
Je dormais avec elle.
Pour être là, au besoin.
Car la nuit, souvent, elle avait besoin d'aide.
Elle avait mal.
Elle avait besoin d'aller aux toilettes.
Elle n'arrivait plus à respirer.
Alors je me levais.
Et j'enchainais les soins.
Au choix : anti-inflammatoires puissants, bassin, aspirateur électrique de mucosités ...
De longues minutes, pour elle comme pour moi.
Et le matin, je me levais pour aller au lycée.
Pas toujours bien fraîche il faut l'avouer.
Pas souvent concentrée sur ce qu'il s'y passait.
Parce que parfois, aussi, la personne qui devait venir me relayer avait tardé à arriver.
Alors j'étais en retard.
Parfois même, je n'y allais pas.
Parce que les personnes que mon père avait engagées ne se présentaient pas toujours pour venir s'occuper de ma mère.
Mon père était déjà parti bosser.
J'étais sensée assurer la transition entre son départ et leur arrivée.
Mais quand personne ne venait ?
Ma mère était tétraplégique et ne pouvait plus parler ni s'alimenter seule.
Je n'ai pas besoin de te dire que je restais ...
J'appelais tous les amis de mes parents, tous ceux qui pouvaient venir me relayer.
J'appelais mais j'avais honte.
J'appelais en ayant l'impression de mendier.
J'appelais avec au bord des lèvres cette vieille nausée.
Et quand une solution était enfin trouvée, je filais au lycée.
"Va chercher un billet !" me braillait le surveillant, maussade.
Et j'allais, penaude, épuisée, chercher mon putain de billet.
"Motif ?" demandait la responsable du bureau.
"Je ne me suis pas réveillée".
Oui, bien sûr, je mentais.
Tu crois quand même pas que j'aurais pu dire la vérité ?
J'avais essayé une fois.
Une seule fois.
J'étais allée parler à la CPE de ma situation familiale.
Je lui avais expliqué que c'était "compliqué".
Cette pudeur quand même ...
Compliqué !
C'était l'enfer en fait, mais comment le nommer ?
"Compliqué" c'était tout ce que je pouvais avouer.
Je l'avais croisée un jour dans un bus, cette CPE, alors que j'allais passer mon mercredi après midi à l'hôpital pour tenir compagnie à ma mère.
Elle savait donc.
Et elle aurait pu essayer de m'épargner les humiliations au lycée.
Elle ne l'a jamais fait.
Au conseil de classe de terminale, malgré mes notes franchement pas mauvaises (étonnamment), je m'étais fait tacler pour de nombreuses demi-journées d'absences.
Le proviseur s'était manifestement régalé.
"Vous n'êtes vraiment pas assidue Mademoiselle T.".
J'étais déléguée de ma classe.
Je lui faisais donc face ce jour là.
J'ai tout pris en pleine gueule.
Il ne m'a rien épargné.
Les moqueries.
Les sarcasmes.
Les clichés.
C'était facile de m'imaginer en vrille : j'étais maigre comme un clou, j'avais des cernes épouvantables, je ne venais pas régulièrement au lycée.
Le prototype de la fille qui fume du shit en forêt et qui va décrocher scolairement.
Personne ne lui avait dit.
Personne n'avait jugé utile de transmettre l'info.
De cette ado épuisée.
De cette jeune fille désespérée qui s'accrochait pour ne pas lâcher.
Qui priait pour pouvoir venir au moins une heure dans ce lycée reprendre un peu de forces auprès de ses copains.
Tout pour ne pas passer la journée seule enfermée avec elle.
C'était tellement dur.
Physiquement.
Moralement.
Une mort lente sous mes yeux.
Un quotidien aussi statique que violent, et moi totalement impuissante.
Franchement m'enfuir c'était vital par moments.
Heureusement il y a eu quelques bulles.
Quelques heures volées à ma condition d'esclave de cette vie de merde.
Pourtant j'ai honte, j'ai vraiment honte de me plaindre.
Car elle, elle n'a jamais pu s'en échapper de cette vie, qui était plus dure pour elle que pour n'importe qui.
Mais parfois, parfois, pardon maman, parfois je n'en pouvais plus ...
Alors je les savourais, ces moments où je pouvais m'échapper.
Comme ce merveilleux après midi à rêver avec Mickey.
A être une enfant, un peu, pour 4 heures seulement ...
Ils ne le savent pas, Dingo et Pluto.
Ils ne le savent pas mais dans leurs mains il y a une fille en liberté conditionnelle.
Une fille qui sourit pourtant.
Mais qui sait que toute cette joie ne va pas durer.
Et que demain, encore, il va falloir recommencer à lutter.

Crédit photo : Y.A. (Que sa route soit pleine de lumière et d'amour, à lui qui m'a bcp donné quand je n'avais pas grand chose à offrir ...)



21 commentaires:

  1. Je lis vos écrits avec à chaque fois beaucoup d'émotions , et quelque fois même des larmes comme ce matin....J'ai un petit souci de santé et de vous lire m'a permis d'essayer de ne pas trop faire porter à ma Pauline "les jours sans" ou plutôt" avec douleurs "...et pour cela merci....Pour votre parcours, là je vous dis bravo.....Françoise

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    1. Chère Françoise,
      Vos mots aussi m'ont bcp touchée et je suis heureuse que mes petits textes servent au moins à projeter des questions et des émotions chez les autres. Je vous souhaite des heures plus douces. Et je me permets de vous embrasser.

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  2. La vache... Je la connais (un peu) ton histoire. Ce que tu as dû faire. Porter, supporter, endurer.
    Mais là, encore une fois : gros coup de poing dans l'estomac.
    Je me souviens de ton billet terrible, sur l'annonce à ton frère qui t'a été "volée".
    Et je retrouve le même sentiment : l'insupportable injustice que tu as pourtant supportée.
    Injustice doublée d'inhumanité, triplée de souffrance...
    Comment as-tu fait Bob pour te relever? Comment as-tu fait pour résister avec autant de pudeur, de courage, d'abnégation?
    Peut-être grâce à l'amour pour ta maman. Et grâce à son amour pour toi.
    Si tu savais comme j'admire la personne que je devine derrière l'écran... Tu es réellement admirable et "aimable" (au sens littéral) car tu incarnes le meilleur de l'humain. Le meilleur qui survit et résiste au pire de l'humain.

    Vraiment Bob, je t'admire. Du fond du coeur.
    Pas merci Bob : j'ai l'oeil qui transpire à grosses goûtes et je me sens bête.

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    1. Merci, merci bcp Cécile. Je ne pense mériter tous ces mots aimables mais ça me touche bcp sois en sûre !
      Ce qui nous porte, toujours, encore, c'est évidemment l'amour, et la foi dans les lendemains ...
      Croire que ce qu'on a enduré va nous rendre plus forts, plus humains, plus profonds ...
      Moi je m'accroche à cette idée. Et à vos mots, qui me portent. Merci.

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  3. Ma bichette.... Tu es vraiment tombée sur des cons c est terrifiant, tout aurait pu être tellement moins difficile

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    1. Oui, tout aurait pu, mais "life is life and life goes on" ...
      On fait avec et on avance !
      Ici en tous cas je me permets de lâcher du lest, et ça me fait du bien.
      xxx

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  4. ce qui est terrible et tellement CON (pardonne moi) c'est cette culpabilité que tu t'es infligée. Que c'est dur pour un adulte de culpabiliser tout le temps mais alors pour une enfant merde, quel gâchis!! putain comment ton père a pu te laisser subir ça alors qu'il suffisait qu'il parle aux profs
    Bisous ma résiliente préférée

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    1. Ton mot m'a fait un tel électrochoc si tu savais !
      Je n'ai jamais, jamais, jamais pensé à ça !!!
      Alors qu'en effet ç'aurait été tellement simple ...
      Mais tu vois, j'ai tellement grandi en me prenant seule en charge, que je ne suis pas sûre de lui avoir parlé de ça !
      Un beau gâchis oui, mais aujourd'hui on reconstruit gratis on va dire ;))
      Merci pour ton message qui m'a fait bcp réfléchir sur mon histoire !

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  5. Tu es une personne à part... Je te serre fort ♡

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  6. Putain Bob, tu écris sacrément bien, mais putain quoi ... Je n'ai pas d'autres mots, pardon.
    Je t'embrasse xoxo

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    1. Merci, merci bcp Maëlle.
      C'est un compliment qui me touche énormément.

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  7. Aaaah Bob, ce qu'on devine à travers tes lignes ça donne envie de venir te prendre la main et la caresser doucement, un de ces matins où tu aurais du aller au lycée mais où tu portais à bout de bras sa vie et la tienne.
    Je t'embrasse.

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    1. "Un de ces matins où tu aurais dû partir au lycée mais où tu portais à bout de bras sa vie et la tienne" ...
      C'est tellement ça, et tellement bien exprimé !
      Merci pour tes mots, je les aime et je les ressens profondément.

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  8. on va trinqué au jus de pomme mon poussin,
    on va trinqué à la vie qui va,
    et le reste, et ben on s'en foutra.
    Tout ça, ça nous a fait nous, tel qu'on est là,
    over sensible, paumée, fracassée,
    et putain, qu'est ce qu'on est des gens bien !!!
    T'es mon champion du monde Bob, mon champion du monde !

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    1. Yes, on va s'envoyer de l'amour dans les veines et du rire dans la tronche !
      On est là, avec nos failles, debout, droites dans nos bottes, c'est toi qui a raison, on est des putains de championnes !
      Je déclare ouvert le club des Gueules cassées ;)
      xxx

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  9. arf encore un billet coup de poing où je me dis : mais comment a t elle fait ? Où les enfants puisent cette force ? Comment est-ce possible tant d'injustice, de maladresse, de non réponse à personne en souffrance ?
    Oui, Bob, t'es une championne :-)

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    1. Les enfants ont je pense une faculté d'adaptation hors norme ... C'est pour cela que nous devons être vigilants avec nos enfants. Ils sont prêts à tout pour qu'on les aime. A tout. A nous de ne surtout pas leur demander trop, à nous de les préserver dans leur place d'enfant.
      Merci pour ton passage et ta patte de velours, toujours ...

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  10. Lorsque je lis ton chemin, ta vie émiettée au fil de ce blog, je me dis que tu es une belle personne bien courageuse....Se relever et continuer à avancer malgré tout n'a pas dû être chose simple tous les jours mais c'est sans aucun doute ce qui te rend unique, ce qui a forgé ta personnalité...tu es riche de ça, même si c'est douloureux parfois.....
    Je t'embrasse bien fort <3

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    1. Merci Laeti. Je pense sincèrement qu'il y a tant de vies plus dures que la mienne, que j'ai eu bcp de chance malgré des épreuves certaines, que je me suis construite aussi grâce à ces épreuves ...
      Comme dirait Piaf, rien de rien, je ne regrette rien ;)
      moi aussi je t'embrasse !

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  11. salut bob,
    ces épreuves de ton enfance t'on préparées à ta mission sur terre. Il semble que tu sois sur le chemin de la mettre en oeuvre, j'en suis très heureux pour toi et te souhaite tout le bonheur qui accompagnera sa réalisation.
    je t'envoie de l'énergie positive.
    bisous à toute la famille
    Nelson

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