Et dans 5 semaines environ, j'aurai ton âge.
Quarante deux ans.
Enfin j'aurai l'âge que tu avais quand tu nous as quittés.
De toi j'ai malheureusement si peu de photos.
Et celles des dernières années sont si peu regardables.
Les tuyaux, les bras tétanisés en position fixe, les mains éternellement recroquevillées ...
Je me souviens qu'il fallait presque t'arracher les doigts pour tenter de les ouvrir, de les faire lâcher un peu, lisser ta main durant de longues minutes pour que tes ongles ne ravagent plus ta paume de main, pour te donner un petit temps de répit ...
Et puis ça recommençait, et puis on recommençait.
C'était quand même un drôle de vie.
C'était quand même pas trop une vie en fait.
Et dans 5 semaines environ, j'aurai ton âge.
C'est fou comme c'est un jeune âge pour mourir.
Surtout quand je vois ton sourire.
Comment peut on mourir quand on a tout à construire ?
Je ne dis pas cela par révolte, il y a longtemps que la révolte s'est apaisée.
Je me questionne sincèrement sur le sens de cette vie que tu as eue.
Tomber malade à 14 ans, mourir à 42, et entre les deux, souffrir.
Souffrir dans ton corps et dans ton âme.
Souffrir et te voir décliner à petit feu.
Souffrir et voir les autres user leurs forces à tenter de t'aider, de te sauver.
Et tout ça en vain ...
Comment les as tu traversées ces années ?
Comment as tu pu tenir si longtemps ?
Comment as tu fait pour ne pas devenir un monstre de haine, une boule d'amertume, une femme aigrie et méchante ?
Non, cette part de toi, la maladie n'a jamais réussi à la tuer, à la transformer : tu es restée une femme drôle, accrochée à un humour hallucinant et à un sens de la dérision inégalé à mes yeux ...
Je te revois dans les pince-fesses de mon père, où tu devais parfois faire une apparition.
Au milieu de toutes ces femmes pomponnées et coincées, tu entrais dans ton fauteuil roulant que je poussais vers le buffet.
Et tu me disais "viens on va vite boire uns coupette parce que là ..."
Et tu ajoutais "Et si tu pouvais sans faire exprès bien sûr rouler sur les pieds de celle là, elle m'insupporte !".
Et tu riais.
Avec ce visage lumineux que me donne encore envie de pleurer quand je le regarde.
Mon soleil.
Dans 5 semaines j'aurai ton âge.
Et tu me manques.
Je crois toujours que ça ne me fait plus rie, que j'ai dépassé le chagrin.
Mais il finit toujours pas ressortir, un petit bout par ici, un petit morceau par là.
Est ce que c'est normal ou pas ?
Je n'en sais rien, et je m'en fous à vrai dire.
C'est comme ça.
C'est juste moi.
Et j'ai le droit.
Je me donne le droit.
Oui, j'ai le droit de dire que j'aimerais tellement que tu sois là.
Que tu m'appelles pour prendre des nouvelles des enfants.
Que tu me dises en les regardant avec fierté "Mais comme ils sont beaux tes minots ma Puce !".
Que tu ricanes avec eux en te moquant gentiment de mes travers de mère.
Que tu leur files des bonbecs en cachette juste avant le dîner.
Que tu les emmènes au cinéma ou à la piscine, que tu mes embrasses, que tu les câlines ...
Tu vois, j'ai commencé à écrire avec le sourire et me voilà en larmes sur mon clavier ...
Elles sortent, elles coulent et les sanglots me serrent la gorge.
Oh ne t'inquiètes pas Maman.
Dans 10 minutes ça ira mieux.
Ce sera sorti.
En tous cas pour cette fois.
Je me serai reprise, je me mettrai au boulot.
Ce nouveau boulot que j'aime tant.
Qui t'aurait rendue fière, j'en suis convaincue.
Je vais faire de mes 42 ans une année pleine de projets, de rires, de joie.
Je vais en faire une année chorale, où nos deux coeurs seront mêlées dans cette même force de vie en laquelle je crois.
Je vais vivre pour toi, et pour moi.
Et je ne serai pas triste quand j'y penserai crois moi.
Je vais bien, ne t'en fais pas.