jeudi 18 septembre 2014

Cet été, j'ai fait une tentative ...



J'ai écrit un texte, pour répondre à un concours sur un site de magazine féminin ...
Je ne l'ai pas publiée au moment opportun.
Mais aujourd'hui, j'ai eu envie de vous la faire lire, cette petite nouvelle.
Il y avait juste un thème à respecter, en quelques mots : "Ca fait deux heures qu'il l'attend ..."
Si le coeur vous en dit, je veux bien votre avis ...
Je vous embrasse !
              
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Ca fait deux heures qu’il l’attend, assis sur un siège en formica jauni saturé de graffitis.
Par la baie vitrée, il regarde les silhouettes se succéder, pressées et emmitouflées.
Il ne bouge pas.
Il ne peut plus bouger.
Il en a perdu la force après s’être subitement levé du siège sur lequel il commençait à devenir fou.
D’une voix un peu étranglée, il avait annoncé à sa femme qu’il avait besoin de prendre l’air et qu’il allait à la cafétéria.
Pour qu’elle puisse le rejoindre après si elle voulait.
Lui ne pouvait plus rester.
Même s’il se sentait lâche.
Même s’il se détestait.
Même s’il était rongé par la culpabilité.
C’était devenu trop dur pour qu’il puisse encore encaisser.
Aujourd’hui sa fille avait 10 ans.
Et c’était sa treizième opération.
Il ne se souvenait plus en détail des premières.
Mais il ne parvenait pas à oublier la dernière.
Ce jour-là, sa femme était seule, et c’est elle qui lui avait tout raconté le soir quand il était venu la chercher.
Comme à chaque fois, elle avait discuté avec l’anesthésiste de garde avant l’opération pour lui expliquer.
Que leur fille avait un syndrome particulier.
Que son métabolisme aussi, était particulier.
Qu’elle avait des veines si fines, si fragiles, qu’il était inutile d’espérer la piquer comme un enfant « normal ».
Elle avait tout présenté, exposé, justifié.
Elle connaissait par cœur les raisons médicales, et maîtrisait hélas son sujet sur le bout des doigts.
Elle avait même fait ajouter une lettre au dossier, d’un généticien qui avait accepté d’attester de cette spécificité.
Et elle avait conclu : « Je sais que ça va vous paraître un peu barbare, mais c’est dans la jugulaire qu’il faut la perfuser ».
Il avait haussé un sourcil et répondu qu’il savait piquer les enfants.
« Oui mais peut être pas ce genre d’enfant ? » avait-elle doucement ajouté.
Il était parti avec un sourire moqueur, celui qu’on réserve aux mères un peu névrosées.
Et elle avait attendu, ventre noué, cœur serré, qu’on lui ramène sa fille adorée.
Lorsque la porte s’était ouverte quelques heures plus tard, le sol s’était dérobé sous ses pieds.
Sa fille était couverte d’impacts.
D’impacts et d’hématomes violacés.
Creux des coudes, bord du bras, poignets, chevilles, genoux même, pour finir par une trace dans le cou … dans la jugulaire évidemment.
Il avait piqué partout.
Il avait tout essayé, tout tenté.
A plusieurs reprises parfois.
Il avait voulu lui monter qu’il savait, qu’il maitrisait.
Et il s’était acharné sur ce petit corps fluet.
Ce corps couvert des stigmates de son orgueil et de son manque d’humanité.
Essayant de trouver un linge pour essuyer le sang, elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle s’était mise à pleurer et que les larmes coulaient sur le drap qui tentait de cacher ce qu’il avait fait.
Le message était clair.
Elle le ressentait de tout son être.
Elle n’était rien, ne méritait pas qu’on l’écoute, ne pouvait pas savoir mieux qu’un vrai professionnel de la santé bien sûr.
Sa fille n’était rien, juste une patiente pénible à opérer, une enfant dont personne ne comprenait les troubles et qu’aucun médecin n’avait vraiment envie de soigner.
Personne ici ne les considérait en fait.
Ce jour là, pour l’hôpital, l’opération s’était parfaitement déroulée.
On lui avait rendu sa fille après avoir fait ce qu’il fallait.
Mais pour sa femme, et pour lui, qui les avait ensuite retrouvées …
Il n’oublierait jamais la douleur, la colère, le sentiment d’injustice qui les avait, durant des nuits, tenus ensuite éveillés.
Ce coup de poignard au cœur qu’on leur avait infligé.
Comme si ce n’était pas assez difficile, comme s’ils ne souffraient pas déjà assez.
C’est à ça, à tout ça, qu’il repense tristement en regardant son gobelet de mauvais café.
Pourvu qu’elle aille bien.
Pourvu qu’elle se réveille.
Pourvu qu’ils ne l’aient pas encore charcutée.
Pourvu que sa femme vienne vite à ses côtés boire un café et se réchauffer.
Ca fait deux heures qu’il l’attend et il commence à sentir le vent tourner.
Alors il se lève et se dirige vers le bâtiment D.


13 commentaires:

  1. J'arrive sur ton blog par ton commentaire sur le mien auquel tu as été conduite par un commentaire anonyme... la magie du net...
    J'aime beaucoup ton texte, et j'aime ce regard extérieur sur l'hôpital que je fréquente chaque jour.

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    1. La magie du net comme tu dis !
      Merci pour tes mots ...
      Je ne suis pas très tendre avec l'hopital mais il a été assez dur avec moi c'est sans doute pour ça ...

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    2. Je remonte progressivement tes textes, et je découvre ça. Je ris, je tremble un peu, et j'aime beaucoup beaucoup.

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  2. ... rien à dire, je suis sous le choc. Tu as une écriture terriblement efficace.
    Doloquica

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  3. tres tres bon texte , emouvant qui prend aux tripes! bravo

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  4. C'est tellement bien écrit, tellement criant de vérité... J'aurais pu l'ecrire moi ce texte, le même oui, sur le petit corps endormi qui revient du bloc tout abimé ...

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  5. ... Mais je ne sais pas écrire moi! Toi tu le fais si bien, tu m'as foutu la chiale tiens !
    Maëlle

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    1. Oh Maëlle je suis désolée de lire que cette histoire pourrait être la tienne ...
      Mon texte est basé sur une histoire vraie cela dit.
      Parfois les médecins oublient qu'ils ne sont pas tout puissants.
      C'est une erreur de jugement pour eux. Et c'est la violence la plus atroce pour les familles.
      Je t'embrasse. J'espère que ca va maintenant pour le petit corps endormi ...

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