mercredi 16 octobre 2013

De Charybde en Scylla ...


La mémoire, comme une vague, fait affleurer les souvenirs dans nos coeurs et dans nos têtes d'une bien étrange façon parfois ...
Et le moment glauque que tu vis, au moment de l'affronter, peut aussi te faire réaliser qu'il y a eu pire, bien pire, tellement pire que tu as voulu sans doute l'occulter, mais sans succès.
Ils reviennent, les cauchemars, les moments vérolés, les coups de poings dans la gueule, ils reviennent un jour, ils reviennent toujours, nan mais qu'est ce que tu crois, tu crois peut être qu'on leur échappe ?!
Quand j'avais 20 ans j'ai vécu une de ces descentes aux enfers : j'étais avec mon amoureux à Paris, et on était allés manger un burger là où tu vas quand t'as pas un rond ;) !
Avant de quitter le "resto", je passe aux toilettes.
Occupées.
J'attends.
5 minutes.
10 minutes.
15 minutes.
Je frappe à la porte mais j'entends juste un grognement, pas de réponse audible.
20 minutes.
Je ressens une drôle de sensation, un pressentiment mais du genre pas bon du tout ...
Une nana du management me demande ce qui se passe, je lui explique que les toilettes sont occupées depuis longtemps mais par quelqu'un qui ne répond pas ...
Elle frappe à son tour à la porte, à plusieurs reprises, et quelques minutes s'écoulent encore dans une ambiance de plus en plus pesante.
Et puis la porte s'ouvre, et ils sortent ...
Deux fantômes ...
Deux morts vivants ...
Des cadavres en vie, des survivants en lutte ...
Deux toxicos aux yeux hagards et cernés dont la vue m'a tordu le bide ...
Ils nous poussent et partent en titubant, et alors je vois, je vois et je me fige ...
Par terre, des plaquettes de médocs, et une petite flaque de sang ...
Je n'arrive plus à respirer, j'entre en panique, je crie à mon mec qu'il faut partir, maintenant, tout de suite, vite !!!
Et on s'enfuit dans la nuit ...
Quand il a enfin réussi à me calmer, ce qui lui a demandé des efforts insensés, il m'a demandé pourquoi ...
Pourquoi ça m'avait fait un tel choc ???
Parce qu'on peut toujours tomber de Charybde en Scylla, voilà pourquoi ...
J'avais 10 ans lorsque le premier impact a frappé ma mémoire pour toujours.
J'avais 10 ans et je vivais dans un quartier que j'adorais.
Imagine, plein de petits pavillons de banlieue tout moches, près de Mantes la Jolie, des maisons Phoenix bien quelconques, mais dans un quartier au coeur étonnamment vivant ...
Toutes les nationalités, tous les gosses mélangés, tous différents et tous heureux ...
On passait nos journées dehors à jouer à cache cache ou au ballon prisonnier, et on jouissait d'une liberté que nos minots ne connaîtront probablement jamais.
Un de ces mercredis où je traînais avec mon frère, on s'était longtemps éloignés de la maison pour jouer, et le soir tombant, on a fini par se décider à rentrer.
Arrivés à quelques maisons de chez nous, on les a entendus ...
Des cris.
Des hurlements.
Ceux de ma mère, qui nous appelait au secours ...
La maladie avait déjà abîmé ses jambes et elle boitait, j'ai cru d'abord qu'elle était tombée, ça pouvait parfois lui arriver ...
J'ai couru à en perdre haleine jusqu'à la maison, et je l'ai trouvée ...
Etendue par terre, au milieu d'une petite flaque de sang ...
Le sol s'est ouvert sous mes pieds, j'étais affolée, je ne comprenais pas, j'ai hurlé "Maman !!!!!", comme si ça pouvait l'aider !
Au creux de son bras, une aiguille, plantée, un tube au bout duquel un goutte à goutte pendait ...
Ses médicaments.
En intraveineuse.
Ceux pour lesquels l'infirmière venait tous les 2 jours pour la "brancher" avant de repartir faire sa tournée.
Sauf que l'infirmière,on l'a découvert après, était alcoolique et ne voyait plus ce qu'elle piquait ...
Ce qui expliquait la bosse imposante que j'ai vue ensuite à côté de l'aiguille, tout ce liquide qui n'avait jamais trouvé ses pauvres veines ...
Et tout ce sang par terre ...
Je ne me souviens que de ça.
Comment on a relevé ma mère, mon frère et moi ?
Je ne sais pas.
Comment on a géré ce sang, cette aiguille, ce merdier ?
Je ne sais pas.
Je sais juste que l'on n'avait pas l'âge, en admettant, ce qui est très con, qu'il y ait un âge pour voir ça ...
Je sais aussi que cette image de ma mère à terre dans cette petite flaque de sang a longtemps hanté mes nuits ...
Et que depuis, tout ce qui se rapporte à une aiguille dans le bras est devenu une vilaine phobie ...

Crédit photo : Bob

6 commentaires:

  1. <3 avec les doigts et hug virtuel

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  2. hug virtuel comme Roca... et admiration que tu sois devenue celle que tu es en ayant vécu ce que tu as vécu... <3

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    1. Merci Cécile ! Y a eu des moments de folie heureuse aussi, je vous raconterai ;) !

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  3. Je suis toujours étonnée par la force de la mémoire ( même quand est défaillante) et par les ricochets qu'elle provoque. Comment toutes ces choses vécues, vues, entendues, senties font elles pour cohabiter,en laissant parfois du répit, parfois de l'angoisse? Pourquoi ce répit, pourquoi cette angoisse? Pourquoi l'oubli et le souvenir parfois?
    Il faut être bienveillant avec l'être humain, son chemin n'est pas toujours doux...Il faut surtout être bienveillant avec ceux qui, souvent, ont trébuché.
    Christine

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    1. Tu as raison c'est surprenant d'observer ces mécanismes de la mémoire ...
      La mienne est mise à rude épreuve avec mes tentatives d'écriture mais je pense qu'au fond, ça la soulage. En tous cas pour le moment ;) !
      Je t'embrasse !

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