lundi 28 mars 2016

En ces lieux dissonants, soudain la bienveillance ...



Ils sont pour moi le symbole de la fragilité, de la faiblesse, de la dépendance.
ils sont pour moi synonymes de mauvaise odeur, de tristesse et de déchéance.
J'ai fréquenté les hôpitaux très jeune, trop jeune.
J'ai rencontré des médecins, des infirmières, des aides soignantes.
Et je ne souhaite pas polémiquer sur le bien fondé ou pas de ce sentiment, mais j'y ai souvent ressenti un manque d'empathie, de respect, de bienveillance.
Pour ne pas dire une grande violence.
Pas physique non.
Mais verbale.
Mais comportementale.
Tu n'es pas écouté.
Tu n'es pas pris en considération.
Tu n'es pas regardé comme une personne ayant un intérêt réel.
Tu es juste un patient.
Ou l'enfant de ce patient.
Ou même pas en fait.
Tu es juste la fille de la femme de la chambre 215.
L'ado dont la mère a une SEP et qui veut discuter avec les vrais intervenants.
Avec quel culot !
Avec quelle arrogance !
Les "sachant" savent.
Toi, tu ferais mieux de te taire et de les laisser faire leur boulot.
Tu comprends ?!
Non, non je n'ai jamais compris justement.
L'absence d'explication.
L'abus de position dominante.
Le manque de chaleur.
Le mépris rampant.
J'ai ressenti tant de colère, parfois de haine même envers ces gens.
C'est si humiliant.
C'est si désespérant.
C'est si frustrant.
La difficulté de leur travail leur ôte parfois l'essentiel de leur mission : la prise en charge de leurs patients ...
C'est parce que j'ai ce passé qui me colle aux basques que je veux te parler d'Estelle.
Parce qu'Estelle, lorsque je l'écoute, lorsque je l'entends, ça me colle la chair de poule et les larmes aux yeux.
Parce qu'Estelle a un coeur.
Parce qu'Estelle est un coeur.
Un coeur qui vibre, qui bat, qui défend.
Elle est là, solide sur ces certitudes, drapée dans cette humanité qui manque à tant de ceux qui portent cette blouse blanche.
Elle est bienveillante.
Elle est la bienveillance.
Elle me parlait la dernière fois de son travail.
Elle me parlait de ses patients.
De ceux pour qui elle se battait avec son équipe.
De ce pour quoi elle combattait avec ses tripes.
De ses patients un peu particuliers que les gens nommeraient des fous.
Et qu'elle regarde juste comme des êtres humains un peu différents.
Elle me parlait de la dignité de la personne humaine.
De la nécessité de respecter le corps, le coeur et l'âme de tous ces gens.
Et là où d'autres te décrivent les affres de la toilette, elle te raconte l'amour d'un corps, même d'un corps puant.
Car ce corps héberge une âme, un adulte ou un enfant, ce corps appartient à une femme, à un homme, à un être vivant.
C'est tout ce qu'elle voit, Estelle, lorsqu'elle discute avec les aides soignantes.
C'est tout ce qu'elle dit, à son équipe, aux encadrants.
La nécessité de dire bonjour.
Celle de s'assoir.
Celle de prendre le temps.
Celle de fermer les portes pour la toilette.
Celle de respecter l'intime.
Celle de préserver ces gens.
Celle de les toucher.
Moralement ou physiquement.
Celle d'établir un lien, nécessairement, absolument.
Ils sont enfermés, ces gens.
Inaptes à vivre dans la société qui les étouffe, les angoisse, les repousse, les rend parfois peut être même méchants. Ou les pousse au désespoir tout simplement.
Ils sont là, dans ces hôpitaux ou dans ces centres.
Jour après jour.
Nuit après nuit.
Ils traversent les équipes comme ils traversent le temps.
Inéluctablement.
C'est sans doute ce qui conduit la plupart des professionnels à ne plus les voir que comme des pathologies, et plus comme des patients.
Mais parfois, dans ces endroits glauques, dans ces chambres tristes, dans ces salles de réfectoire désespérantes, parfois, il y a une Estelle.
Il y a une lueur.
Une personne qui vous rend à votre humanité.
Une personne qui vous regarde autrement.
Une personne qui vous regarde, vraiment.
Qui ne voit pas votre dossier.
Qui n'entend pas vos cris, votre colère, votre refus de parler ou de vous laisser parler.
Ou plutôt qui les entend mais cherche à réellement les comprendre.
Qui cherche à voir ce qu'il y a derrière les cris, derrière les refus, derrière les comportements.
Et dès lors, Estelle vous le dirait mieux que moi, dès lors et contre toute attente ... les patients changent !
Ils se redressent, ils vous regardent, ils acceptent un contact.
Puis même ils le demandent !
Ils reprennent peu à peu goût à la vie, même à cette vie là que nul ne voudrait vraiment ...
Ils reprennent forme humaine, tout simplement.
Estelle les voit.
Estelle les écoute.
Estelle les entend.
Estelle les trouve beaux.
Elle ne les juge pas.
Mieux, elle les comprend.
Mais ceux qui sont laids.
Ceux qui sont méchants.
Elle te dit que non, il n'y a pas de laids, pas de méchants.
Juste des gens qui souffrent.
Juste des malheureux.
Juste des pas contents.
Estelle les rassure.
Elle se questionne, elle se demande.
Comment les aider.
Comment les aimer.
Comment améliorer leur quotidien.
Comment respecter leur volonté, leur différence.
Estelle demande des prises en charge pour les femmes par exemple.
Des séances chez le coiffeur. Des massages. Des sorties, de temps en temps.
Estelle n'oublie jamais.
A croire qu'elle sait, qu'elle est la seule à savoir vraiment.
Qu'il reste toujours une personne humaine dans tous ces gens.
Qu'il reste toujours une part d'humanité qui appelle à l'aide.
Estelle, elle, les entend.
Elle est l'oreille absolue de cette immense souffrance.
Il y a un secret en dessous de sa blouse blanche.
Ce doit être caché, dans son dos, invisible à ceux qui traversent ces endroits drapés dans leur indifférence.
Deux ailes.
Deux "L".
Comme dans Estelle.
Qui est un ange.

2 commentaires:

  1. J'aurais tellement aimé que mon "petit" atteint de schizophrénie à l'âge de 17 ans, et qui a décidé de quitter cette terre six ans plus tard, ait eu la chance de rencontrer sur son chemin une Estelle mais ça n'a pas été le cas. I

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    1. Chère Catherine, je ne sais pas quoi répondre tant j'ai de peine pour vous, avec vous. Oui, il faudrait plus, beaucoup plus de gens comme elle et je regrette profondément que vous et votre fils n'ayez pas eu cette chance là. Les mots me manquent et je m'en voudrais surtout d'être maladroite. Alors je vous embrasse du fond du coeur, sincèrement.

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