lundi 3 mars 2014

Je n'avais pas 10 ans mais elle boitait déjà ...


Je n'avais pas 10 ans mais elle boitait déjà ...
A cette soirée déguisée à laquelle elle ne voulait pas se rendre, nous nous étions pourtant rendus.
Mon père ne cédait pas un pouce de terrain à la maladie.
"On y va et on s'amuse ! Tu verras, tu seras heureuse d'être sortie !".
Malgré tout ce qu'il a pu me faire subir ensuite, je lui dois ça, je lui reconnais ça, mon père s'est comporté comme un héros vis à vis d'elle.
Il a transformé la merde en or, la maladie en défi, le drame en fous rires ...
Un vrai magicien.
Réellement.
Alors à cette soirée, il a dit "Nous irons !", et nous sommes allés.
Mais elle ne pouvait pas marcher en réalité.
Elle était déjà tombée plusieurs fois, et elle avait besoin d'une canne, d'une béquille, d'une épaule.
Alors mon père et moi nous avons été tout ça : la canne, la béquille, l'épaule.
Et nous avons souri.
Souri face à l'adversité.
Souri face à la trouille de la voir, malgré notre appui, se prendre les pieds et trébucher, tomber de tout son long comme cela lui arrivait ...
Devant tout ce monde, elle ne l'aurait jamais supporté.
Alors nous avons tenu.
Sa main.
Notre tête haute.
Le coup.
Nous avons tenu.
Avec ce qui nous restait de force et de dignité.
Nous n'avons rien lâché.
Et nous avons souri, je m'en souviens si bien, lors de cette soirée.
Mais je me souviens aussi de la boule au ventre que j'avais, avant d'y aller.
Des cris et des larmes de ma mère avant d'y aller.
Puis les cris s'étaient tus, les larmes avaient séché.
Mais la boule dans mon ventre était restée.
Je m'en souviens comme si c'était hier, je peux encore sentir la bile dans ma gorge.
Peur.
Fatigue.
Angoisse.
Sur mon estomac cet énorme pavé.
Dans mon coeur cette sensation d'être glacée.
Lui sourit pourtant, avec son coeur et sa foi de futur illuminé : il y croit vraiment, à ce bonheur qu'il nous a fait partager.
Et il a peut-être raison après tout, car on en a partagé des moments de fous rires durant toutes ces années.
Mais cette photo, retrouvée ce soir au fond d'un tiroir mal rangé, je la vois comme déjà, hélas, je la ressentais lorsqu'elle a été prise il y a tant d'années.
Je vois un homme convaincu.
Je vois une femme si belle mais déjà brisée.
Et je vois une petite fille qui sourit faiblement, un peu comme une bête traquée.
Je m'accroche.
Elle s'accroche.
Nous nous accrochons tous.
Tenir.
Nous tenir.
Nous soutenir.
C'était bien tout ce qu'on avait.
On avait au moins ça.
Le pouvoir de l'amour.
Celui qui nous a tout pris mais aussi tout donné.




6 commentaires:

  1. ...
    Comme bien souvent quand je viens lire ici, l'émotion dès les premiers mots.... dès le titre cet fois-ci...
    Je me demande toujours comment font les enfants pour (sur)vivre : vierge des normes sociales, ils absorbent tout, savent tout, comprennent tout du monde des adultes avec lucidité et pourtant grandissent, font "leur boulot"... puis, une fois adulte, ils doivent forcément se (re)poser, regarder en face ce qu'il sont traversé, pour reprendre leur souffle, tellement ça a été dur, parfois...

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    1. Ca me touche de savoir que ça te touche, Le Chat ...
      Et je suis tellement d'accord, on fait, sans réfléchir, et quand on réfléchit enfin on voit tout ce qu'il va falloir défaire, tout ce dont il va falloir se défaire ...
      Encore tant de travail à accepter !

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  2. Même si Elle n'est plus là, Elle est sûrement devenue pour toi " une canne, une béquille, une épaule"... De ces dons en or qui, même quand tu "boites", même quand tu chavires , même quand tu dérapes, font de toi une Personne pas bancale.
    Christine.

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    1. Oui Christine, j'en suis sûre !
      A sa façon, elle a fait et fait sans doute encore de son mieux, comme je l'ai fait pour elle autrefois ...
      Je boite, je chavire et je dérape c'est vrai.
      Mais pour le moment je me suis toujours relevée.
      Je t'embrasse !

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  3. c'est beau, c'est vrai, c'est dur...

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    1. Oui, comme la vie peut l'être parfois tu le sais ...
      Je t'embrasse Claire !

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