lundi 28 septembre 2015

Message d'outre tombe (part I)



Ce vendredi là, après avoir chassé les monstres et les fantômes au coeur d'un commissariat un peu vétuste, j'avais besoin de prendre l'air.
Le cimetière ne te semble peut être pas le meilleur endroit et pourtant ...
Il faisait beau, un ciel d'un bleu limpide et la chaleur du soleil qui réchauffait mon corps, mon coeur, mon âme.
Je devais aller chercher ma mère.
Pourquoi me diras tu ?
Parce que cet été, j'ai réalisé qu'il y avait près de 23 ans qu'elle était morte.
Et cette question, terrible, dans ma tête : combien de temps on garde les morts dans une tombe ?
Je veux dire combien de temps pour une concession au cimetière ?
La question paraît un peu con, posée comme ça.
Mais je n'avais rien.
Aucun papier, aucun droit sur cette tombe.
Ma mère a été enterrée l'année de mes 18 ans, par mon père, qui était encore parmi nous.
La suite, tu la connais (ou pas), il s'est enfui, a tout jeté, tout bradé, tout détruit.
Alors la tombe ...
Et moi j'ai toujours détesté les cimetières.
Je ne crois pas que les gens soient "là" après leur mort.
Je crois que ce sont leurs ossements.
Et que je n'ai pas très envie de venir les écouter se dissoudre dans la terre grasse et humide.
Alors je n'ai pas mis les pieds devant cette tombe, à part une ou deux fois.
C'est pour cela que j'ai flippé.
Que je me suis demandé si elle était toujours là.
Que j'ai eu peur que la concession ne soit arrivée à son terme, et les ossements de ma mère disséminés dans la fosse commune comme on dit.
Tu vois,l'été je pourrais penser à manger des glaces mais non.
Je pense à des trucs distrayants comme la tombe de ma mère.
Punaise, il est vraiment temps que je m'abonne à Voici je crois !
Bref, j'en étais à cette question quand j'ai commencé à me dire qu'il fallait donc que je contacte le cimetière.
Pour leur demander, pour la durée de la concession.
J'ai cherché le numéro dans l'annuaire.
Plus de numéro.
J'ai cherché encore sur internet.
Et j'ai vu qu'il n'y avait plus de personnel sur les lieux du cimetière à Fontainebleau.
Il fallait appeler la mairie.
Service de l'état civil.
Alors j'ai appelé.
"Bonjour, je vous appelle parce que j'ai perdu la tombe de ma mère, pouvez vous m'aider ?".
Ma question était évidemment moins brusque, mais c'est un peu le fonde l'affaire tout de même.
La personne a écouté mon histoire.
Elle semblait très ennuyée.
Elle m'a laissé expliquer, puis elle a prix une grande inspiration et m'a dit "Je suis désolée mais je ne peux pas vous aider".
Ah.
Et pourquoi ?
"En fait, le logiciel qui identifie les tombes et les concessions est en panne depuis plusieurs jours et nous ne parvenons pas à le réparer".
J'ai souri.
Je t'assure.
J'ai souri car je me suis dit que la probabilité pour que ma mère meure, soit enterrée sur ordre de mon père, que celui ci se barre en Inde sauver le monde, et que le logiciel qui sert à la localiser tomber en panne juste à la période où je cherche à la retrouver, franchement, tu avoueras que l'infinitésimale probabilité qu'une telle hérésie se produise avait de quoi me faire sourire.
J'avais perdu ma mère.
Pour la deuxième fois en fait.
Il ne me restait plus qu'une solution : aller sur place et tenter de la retrouver.
C'est ainsi que je me suis rendue, ce vendredi après le commissariat, au cimetière de Fontainebleau.
Je me suis garée, et je suis allée directement dans une allée contre le mur d'enceinte.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'étais persuadée que c'était la bonne allée.
J'avais pris soin de demander à ma tante si elle se souvenait de la couleur de la tombe.
Dans mon esprit, elle était marbrée rose pâle, avec une stelle.
J'ai parcouru l'allée.
Rien de tel.
J'ai parcouru l'allée d'à côté.
Rien non plus.
Alors j'ai commencé à arpenter le cimetière.
Toutes les tombes.
Toutes les allées.
Toutes les roses marbrées.
Toutes les stelles.
Et rien.
J'ai marché une heure, deux heures, dans ce cimetière ensoleillé.
Et rien.
Je me suis assise, et j'ai ri.
Il n'y avait pas de quoi me diras tu.
Mais la situation sur le moment me semblait aussi improbable que comique.
J'avais perdu ma mère.
Et la mairie aussi l'avait perdue.
C'était quand même un beau bordel ce cimetière !
Et puis il y avait le problème de mon fou rire qui montait.
A cause des noms sur les tombes.
Je sais bien que ce n'est pas un endroit pour rire.
Mais quand même.
Quand tu croises la tombe d'un Monsieur LETERME ...
Ou d'une Madame LAFIN.
C'est difficile de ne pas avoir envie de rire, nerveusement.
Bref, j'étais paumée, la mairie ne pouvait pas m'aider, mon père ne pouvait pas m'aider, qui pouvait bien me filer un coup de main ?
J'ai bien vu une personne dans le cimetière.
Mais je n'ai pas osé.
Elle avait des brassées de fleurs, en pots, en vases, en bouquets, et entretenait aux petits oignons une tombe rutilante.
Comment est ce que j'aurais pu aller la voir en lui disant que moi j'avais perdu la tombe de ma propre mère ?!
J'ai pas osé.
Je me suis assise au soleil, sur un muret, pas sur une tombe, et j'ai laissé la chaleur m'engourdir.
Je n'avais pas peur.
Ma tante venait la semaine suivante pour me voir.
On irait.
On irait ensemble, elle se souviendrait forcément de l'endroit.
Elle se souviendrait là où moi j'avais laissé ma mémoire tout effacer, peut être pour me protéger.
Je n'étais pas inquiète.
Juste un peu fatiguée.
Alors je me suis levée, et je suis partie sans me retourner.
Persuadée que tout allait vite et bien s'arranger.

4 commentaires:

  1. Quelle histoire, excusez-moi, mais elle m'a (aussi) fait bien rire! J'adore les cimetières, mais je ne vais jamais sur la tombe de mes parents (pourtant, je sais très bien où se trouvent les deux tombes, côte à côte, dans le cimetière du village). Je n'en éprouve tout simplement pas le besoin. J'ai enterré mes parents en paix, je pense souvent à eux, aux bons moments comme aux mauvais, mais je n'ai pas mauvaise conscience pcq je ne vais plus sur leur tombe. Je crois que votre histoire est tout à fait différente, perdre sa maman à 18 ans, c'est très dur, et les réactions ne sont pas les mêmes que quand à un âge adulte, on perd ses parents qui ont un âge quand même "avancé". Dommage que votre père ne se soit pas montré votre premier soutien!

    Courage, Bob!

    Biz,
    lulu

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    1. J'avais envie que ce soit drôle, aussi, parce que même dans les moments graves, je finis souvent par rire ... Libérer les émotions ça passe parfois par les larmes, parfois par les zygomatiques après tout ...
      Pour le reste, on ne choisit pas les épreuves que le vie nous envoie, mais en tire toujours un enseignement j'en suis convaincue.
      Merci pour votre message Lulu je vous embrasse

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  2. Ah ah, sacrée Bob ! Une sacrée force l'humour, aussi. Elle me fait sourire cette histoire. Non, pas l'histoire, ta réaction, tes mots (mais p.... tes mots, faut les publier !!!!). Ce sont des endroits que j'aime bien aussi. Malgré les tristes souvenirs. Et moi je trouve que l'on a le droit d'y rire, plaisanter, se balader. On devrait vivre un peu plus avec nos morts. Je veux dire, notre civilisation devrait leur laisser une place naturelle, plus facilement. Pour tous les vivants qui le souhaitent, qui en ont besoin.
    J'aime bien ce rite orthodoxe, pour Pâques je crois : un repas de fête sur la tombe de leurs proches. Ils partagent.
    J'espère que la Part II aura un dénouement... positif? Satisfaisant? (Happy End ne me semble guère adéquat ;-))
    La bise Bob

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    1. Heureuse que tu aies pu sourire, c'était le but au fond ... Et la fin de l'histoire, tu l'as lue je pense, était belle heureusement pour moi !
      Tout ça m'a en tous cas fait bouger sur mes lignes en matière de cimetière je peux te l'assurer !
      Je t'embrasse

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